Vitrail de 1503 à la cathédrale de Toul...
Les Jams ont participé à l'élaboration du numéro 118 des Études Touloises, revue d'érudition du Cercle d'Études Locales du Toulois (C.E.L.T.). Nous avons évoqué une première fois la petite activité de rédaction des Jams dans un article du blog... Pour vous en donner une idée, voici un passage de l'article de Vincent Lamarque au sujet d'un vitrail de la cathédrale Saint-Étienne de Toul que le membre de l'association affectionne tout particulièrement. Donc, quand vous visiterez la cathédrale Saint-Étienne de Toul, ne manquez pas ce magnifique vitrail, au fond du bras nord du transept ! Petit bonus : le présent propos est également agrémenté de photographies inédites !
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Introduction
Le vitrail, panneau de verres montés sur plomb, consolidé avec une armature de métal, est tributaire de la structure architecturale qui délimite sa surface. Dès le début du XIIIe siècle, il put s’épanouir de manière éclatante du fait de la naissance du gothique : c’est grâce à un nouveau système de voûtes, la croisée d’ogives, que l’édifice gothique acquit la liberté d’exhausser les ouvertures dans l’élévation de ses murs. Du XIIIe au XVIe siècles, le vitrail a subi de multiples mutations, à l’image du corps de métier affecté à sa réalisation. Les ateliers se sont modernisés et l’état des maîtres-verriers est monté d’un échelon dans la hiérarchie sociale. Concernant les programmes iconographiques, au départ insérés dans de petits médaillons, ils ont été élargis à la taille des baies. Au XVIe siècle, en Lorraine, la politique de mécénat des ducs et des évêques participa indéniablement aux progrès et à l’essor de l’activité artistique.
C’est à la lumière d'un vitrail daté de 1503 dans la cathédrale Saint-Étienne de Toul que nous pourrons apprécier toute la beauté de l’art pictural et sa symbolique. Tout d’abord, la première partie sera consacrée aux hommes ayant participé à la réalisation du vitrail, avec la forte détermination de figurer sur sa surface d’une manière ou d’une autre. Puis, dans une seconde partie, nous traiterons des dispositions stylistiques, d’inspirations composites, prises par les commanditaires et les maîtres d’ouvrage dans les visions sacrées et architecturales. Nous étayerons notre propos par les descriptions du vitrail de la cathédrale.
Dans la cathédrale Saint-Étienne de Toul, la fenêtre à l’extrémité du bras septentrional du transept présente un remplage du XIIIe siècle. En effet, l’arcature en pierre matérialise successivement quatre baies élancées, se terminant par un arc brisé, élément caractéristique de l’architecture gothique du temps. Ces quatre lancettes ogivales sont surmontées de trois rosaces qui présentent des lobes enserrant un oculus central. L’aspect floral des trois percements est semblable aux rosaces de la cathédrale de Reims. Par contre, la verrière a été intégrée au squelette de pierre au XVIe siècle.
Vitrail au monogramme « IV » et daté de 1503
Bras nord du transept de la cathédrale Saint-Étienne de Toul
Samedi 07 octobre 2006
1. Constructeurs et donateurs
Marque d'émancipation du maître-verrier dans son ouvrage
Le vitrail du XVIe siècle dans la cathédrale Saint-Étienne de Toul est l’occasion de se remémorer les personnalités qui ont participé à sa concrétisation puisqu’elles y sont figurées de multiples façons.
Une signature et une date... Lisant le vitrail de gauche à droite, le millésime « 1503 », la date de sa réalisation, est appliqué à la base de la troisième lancette. Le monogramme du maître-verrier qui l'a réalisé, « IV », est appliqué à la base de la lancette voisine de gauche. Pour avoir le droit d’apposer sa signature sur un édifice à la fonction épiscopale si décisive dans la cité, c’est que l’activité artistique devait être un formidable gage de promotion sociale, gagné par l'artiste avec la gratitude des plus hauts ministres du culte.
Désormais, les compétences et l’expérience du compagnon se déchargent de l’indifférence qui l’avait immodérément écrasé dans les siècles précédents. Pourtant, au départ du montage des panneaux de verre, l’individu aux initiales « IV » ne s'était sans doute activé que dans l’élaboration préalable des cartons. Avait-il laissé à son atelier le soin de la confection-même de la verrière ? À défaut de pouvoir répondre avec certitude à la question, il reste néanmoins indéniable que le chef de chantier, parmi tous les artisans, est l’unique bénéficiaire de la notoriété lors de sa vie et à titre posthume.
La verrière est probablement la création de Jean le Verrier qui a travaillé à la fin du XVe siècle, au château de Foug en 1483 et dans l’église touloise de Saint-Waast en 1486 et 1499. Il est aussi connu sous le nom de Jean de Soisson. Néanmoins, Jacques Bombardier, citant le spécialiste lorrain Michel Hérold dans son livre Si Renaissance m’estoit contée, émet une hypothèse intéressante. Nous pourrions en effet attribuer les caractères majuscules à Jean Verrat, maître-verrier travaillant à la cathédrale de Troyes de 1498 à 1502 avec Balthazar Godon et Liévin Varin, au niveau des fenêtres hautes de la nef.
Détails : monogramme « IV » du maître-verrier et date « 1503 »
Clichés : Vincent Lamarque
Jeudi 28 août 2008
Un style iconographique propre... Également, quand il n’existe plus d’inscriptions distinctes pour identifier le maître-verrier, il est tout de même aisé de différencier sa main de celle des autres par le biais de son propre style. Cela est valable précisément à partir du XVIe siècle où les artistes en général semblent, de manière plus évidente, exemptés des ordres du clergé commanditaire d’antan, aussi impératif que pas très inspiré en matière d’art. Par exemple, il suffit d’observer avec précision la verrière de Jean le Verrier pour enregistrer des détails peut-être incompréhensibles aux yeux d’un fidèle chrétien du XVIe siècle mais renseignant sur la sensibilité esthétique du peintre ou sur son intention exclusivement décorative. Sont représentés, dans les rosaces et la rose prédominante du tympan, des motifs floraux et un soleil, et, dans les écoinçons entre les baies circulaires, des dragons, des chimères et des archers (entre parenthèses : un archer est déculotté).
Les historiens d’art et les historiens, comme Alain Villes dans son dernier ouvrage sur la collégiale Saint-Gengoult de Toul, n’hésitent pas à rapprocher les six lancettes de la façade, datées du début du XVIe siècle et aujourd’hui en restauration, et le vitrail de Jean le Verrier. La galerie vitrée de la collégiale représente en pied saint Pierre, saint Gengoult, patron de l’église, la Vierge à l’Enfant, saint Gérard, évêque de Toul au Xe siècle, saint Georges et saint Paul, chacun étant logé dans une niche de branchages. La fantaisie, d’inspiration troyenne, est à assimiler aux branches qui émergent des têtes dans les rosaces de 1503 à la cathédrale. Les analogies sont multiples. Nous pourrions presque attribuer le vitrail de Saint-Gengoult à Jean le Verrier, les décors étant traités avec un même caractère atypique.
Partie haute du vitrail au monogramme « IV » et daté de 1503
Bras nord du transept de la cathédrale Saint-Étienne de Toul
Samedi 07 octobre 2006
Volonté du commanditaire à figurer sur l'ouvrage vitré
Des blasons... Sur le vitrail de 1503, nous saisissons la forte volonté de chacun à marquer d’un signe distinctif son apport à la construction et à sa finition, à l’instar du pratique et symbolique tâcheron, gravé par les maçons ou corporations de maçons sur les blocs lithiques. En effet, des blasons portés par des anges sont tracés à la base des quatre lancettes. Sur la lancette latérale gauche, nous trouvons les armes du chapitre canonial, à savoir les trois pierres du supplice de saint Étienne, représenté légitimement en pied au-dessus, avec une pierre sur la tête. Sur la lancette droite, les armes de la cathédrale ou l’écusson supposé de saint Gérard, représenté également en pied au-dessus avec le surhuméral propre aux pontifes toulois. Sur les lancettes médianes, nous découvrons à gauche les armes du cardinal Perraud ou du cardinal Raymond de Baraille et, à droite, les armes du chanoine Nicolas le Sane. Le cardinal Perraud était évêque de Gurk en Turquie et légat de l’évêque de Toul au siège apostolique dès 1501. Nicolas le Sane était archidiacre de Saint-Nicolas-de-Port et vicaire du diocèse de Toul sous l’épiscopat de Olry de Blâmont (1495 - 1506). Le chanoine restaura avec habileté la discipline dans le chapitre de Toul.
Partie basse du vitrail au monogramme « IV » et daté de 1503
Bras nord du transept de la cathédrale Saint-Étienne de Toul
Samedi 07 octobre 2006
Détail : armoiries de Nicolas le Sane
Bras nord du transept de la cathédrale Saint-Étienne de Toul
Jeudi 28 août 2008
Participation de la population dans l'ouvrage vitré
Sur sa verrière, Jean le Verrier présente de petits personnages en pied avec les vêtements de ses contemporains, chanoines et citains. Les figurines de grisaille sont intégrées aux dais architecturaux qui encadrent les représentations plus monumentales de saint Étienne, de la Vierge à l’Enfant, de saint Jean-Baptiste et de saint Gérard, sur les quatre lancettes. Ces hommes de petite taille mais néanmoins réalistes sont peut-être le timbre d’une participation pécuniaire, sinon par la prière, dans la fabrication du vitrail.
Détail : petit personnage en pied
Bras nord du transept de la cathédrale Saint-Étienne de Toul
2. Analyse stylistique et sources d'inspiration
Après avoir énuméré les formes de parution des participants au montage du vitrail du XVIe siècle dans la cathédrale Saint-Étienne de Toul, il faut analyser les styles et distinguer les diverses sources d’inspiration de la surface vitrée. Pour cela, observons les scènes sacrées et les décors architecturaux.
Les influences des gravures de Martin Schongauer
Martin Schongauer est né dans les années 1450 à Colmar, dans une famille d’orfèvres originaires d’Augsbourg. En 1465, il s’inscrit à la faculté de Théologie de Leipzig qu’il délaisse après un semestre pour revenir à Colmar, dans l’atelier de son père. Entre 1468 et 1470, Martin effectue un voyage de compagnonnage qui le mène aux Pays-Bas et en Espagne. Son premier tableau gravé, la Vierge au buisson de roses, pour l’église Saint-Martin de Colmar, est daté de 1470. En 1488, Schongauer part de Colmar et décède en 1491 à Brisach.
À la cathédrale de Toul, la verrière au monogramme « IV » est inspirée d’une gravure de l’Alsacien, en particulier au niveau de la plus éminente de ses représentations, qui s’étend sur toute l’envergure du percement. Le verrier a dépassé les limites architecturales des montants élancés des lancettes et a su scander avec élégance la verticalité de la fenêtre. Il est question du thème fréquent du Couronnement de la Vierge, sans doute inspiré de la liturgie de l’Église mettant sur les lèvres du Christ depuis le VIIIe siècle des versets de psaumes : « La reine s’est assise à sa droite en un vêtement d’or » (Ps. 44) et « Il a posé sur sa tête une couronne de pierres précieuses » (Ps. 20), et popularisée par la Légende dorée de Jacques de Voragine au XIIIe siècle.
Marie et son Fils sont assis sur un seul trône, comparable par sa largeur disproportionnée à celui proposé dans l’œuvre du graveur colmarien, Dieu couronnant la Vierge de 1485. La Vierge est figurée sur la deuxième lancette avec les mains jointes. Son visage donne l’impression d’un profil de trois-quarts dessiné avec maladresse alors que tout son corps est pivoté d’une manière plus raisonnable et avisée. (Est-ce le corollaire des perturbations climatiques et des multiples restaurations du vitrail ?) Une créature ailée, vêtue d’une aube blanche, remet la couronne. En cela, l’influence de la cathédrale de Paris se fait ressentir, tout comme celle des pages enluminées dans les livres d’heures des notables Toulois à la fin du XVe siècle. Marie est couronnée par un ange, à la différence d’un bas-relief daté de 1190 à la cathédrale de Senlis et d’un vitrail du XIIe siècle à la cathédrale d’Angers, où la Vierge est déjà couronnée, et à la différence également de la tradition des cathédrales de Bourges, Sens et Reims, où la Vierge est couronnée par Jésus lui-même. Sur la lancette voisine, à droite, le Très-Haut fait son apparition, portant les attributs pontificaux : la chape attachée au col par une large fibule discoïde et dorée, la tiare sur sa tête et le globe surmonté de la croix salvatrice dans sa main gauche. De sa main droite, il a un geste de bénédiction, tandis qu’il porte un sceptre terminé d’une fleur à Notre-Dame de Paris.
¨Partie médiane du vitrail au monogramme « IV » et daté de 1503
Bras nord du transept de la cathédrale Saint-Étienne de Toul
07 octobre 2006
Les influences des architectures gothique flamboyante et Renaissance
- à l’histoire sociale puisque les conditions de l’artisan attaché à sa production s’améliorent,
- à l’histoire politique puisque l’homme illustre participe par l’ordre ou le don au montage des vitraux et accorde une grande partie de la surface à sa figuration propre, et
- à l’histoire de l’art puisque les images bibliques et les architectures d’inspirations disparates sont des indices de datation des supports vitrés.
- BOMBARDIER (Jacques), « Les vitraux anciens de la cathédrale de Toul (XIIIe-XVIe siècles) », in Études Touloises, Toul, 1982, n°27, article 6, p.37-40.
- BOMBARDIER (Jacques), « Vitraux du Toulois », in Études Touloises, Toul, 1980, n°19, article 1, p.1-10.
- BOMBARDIER (Jacques), Si Renaissance m'estoit contée, Éditions Le Pélican, Marly, 1985, p.47-63.
- HÉROLD (Michel) « L'art du vitrail en Lorraine, son apogée à la fin du Moyen-Âge et au temps de la Renaissance », in Le Pays lorrain, 1983, n° 1, p.5-33.
- CHOUX (Jacques, abbé), Vitraux de France au Moyen-Âge et à la Renaissance, Colmar, 1970, p.135.
- CHOUX (Jacques, abbé), Le vitrail en Lorraine du XIIe siècle au XXe siècle, Éditions Serpenoise, Centre Culturel des Prémontrés, Imprimerie Stampa à Dombasle-sur-Meurthe, 1983, p.53-55.
- VILLES (Alain), La cathédrale de Toul, histoire d’un grand édifice gothique en Lorraine, Éditions Le Pélican, Metz, 1983, p.197-199.
- VILLES (Alain), Toul, la collégiale Saint-Gengoult et son cloître, Éditions Le Pélican, Presses de la Simarre à Joué-les-Tours (France), 2005, p.59-60.
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